L'événement “Build Up or Die", co-organisé par Salesforce et High Flyers, a été l’opportunité de partager des expériences et d'explorer les défis spécifiques du secteur technologiques, offrant des perspectives éclairantes.
Au cœur de l'événement, riche en témoignages concrets sur les défis et succès des opérations de croissance externe dans la technologie, deux experts ont ouvert la soirée. Philippe Miltin, CEO de 3DS Outscale, leader français du cloud souverain, filiale de Dassault Systèmes, et Gabriel Moukhbat, directeur des fusions-acquisitions et relations investisseurs chez Swile, ont partagé des insights essentiels et des recommandations incontournables pour assurer le succès de telles opérations.
Et pour cause, l'année précédente, Swile a réalisé l'acquisition de Bimpli, une filiale de la BPCE plus couramment connue sous le nom d'Apetiz. Cette opération, aussi audacieuse qu'exceptionnelle, orchestrée par le fleuron français, a secoué les conventions établies dans le paysage technologique français. Tant l'origine de la transaction que les détails cruciaux ayant façonné son succès étaient, de fait, particulièrement attendus. À l'instar de la perspective de 3DS Outscale, filiale de Dassault Systèmes, principal acteur français du secteur des logiciels, qui compte déjà plusieurs dizaines d'acquisitions à son crédit.
Après avoir retracé la dynamique du marché des titres restaurant au moment du lancement de Swile – un marché stagnant depuis un demi-siècle, sous le contrôle de quatre acteurs majeurs - Gabriel Moukhbat a examiné en détail les facteurs clés de cette réussite. “L'offre de Swile était novatrice et le branding puissant. Ce qui lui a permis de conquérir, de manière totalement organique et en seulement quatre ans, 13% des parts de marché, forçant ainsi les acteurs établis à se réinventer” a-t-il expliqué.
La Human Due Diligence au coeur de la réussite du deal
"Assurer l'émergence d'un leader à l'issue de l'opération et veiller à ce que celui-ci connaisse une croissance pérenne grâce à l'identification de nombreuses synergies sont des conditions sine qua non pour la réalisation d'un due deal. Il faut, en parallèle, être en mesure d’identifier, à l’aide de conseillers, tous les facteurs bloquants", souligne Gabriel Moukhbat tout en rappelant que le succès de l'opération ne se limite pas à l'acquisition, mais englobe également l'intégration. “Il est indispensable de bien préparer l’intégration. Notamment parce qu’ils n'ont pas été impliqués dans la due deal, les opérationnels restent les premiers concernés. On doit leur donner le temps de connaître l’actif racheté, les objectifs, les enjeux tels que la nouvelle culture, la nouvelle organisation”, explique-t-il.
Cette croissance externe Swile entend bien la poursuivre et devenir rentable en 2024. Fort de cinq acquisitions dont certaines à l’international, l’acteur prévoit de poursuivre son expansion au Brésil.
Eugénie Néau Chaltiel, intervenante lors de la deuxième table ronde et fondatrice d'High Flyers, reconnaît que le terme de "Human Due Diligence" est peu répandu, souvent limité à l'évaluation des dirigeants et confiné dans une due diligence financière et fiscale, mettant particulièrement l'accent sur les équivalents temps pleins et les enjeux prud'homaux. Elle souligne qu'un article publié dans le Harvard Business Review a démontré que 80% des échecs des opérations de M&A étaient dus à un défaut de due diligence sur le plan humain."Il est essentiel de s'interroger sur les méthodologies de gouvernance et de prise de décision, d'identifier les personnes clés et les zones d'influence au sein de l'entreprise, ainsi que les mécanismes de performance. Malheureusement, tous les aspects opérationnels liés aux ressources humaines sont trop rarement étudiés en amont", explique-t-elle avant d’ajouter, "ces analyses conditionnent la bonne intégration qui, comme nous l’avons dit, est la clé du succès d’une opération build up."
D'autres éléments sont également à prendre en considération. Vincent Gely, vice-président commercial régional chez Salesforce, partageait la scène avec Eugénie Néau Chaltiel. Tout en adhérant à son analyse, il a souligné avec insistance l'impérieuse nécessité de ne pas sous-estimer l'importance cruciale de la technologie dans le processus d'intégration. “L’usage de la technologie s’intensifie et des événements externes comme la pandémie ont montré qu'il était important d'examiner en détail l'équipement technologique de la société dont on souhaite faire l’acquisition. Si la technologie est bien intégrée dans le processus d’acquisition, elle va avoir des effets sur des sujets cruciaux tels que l’opérationnel avec le service client, le prévisionnel, etc…”
Rapidité, flexibilité et communication clés de l’intégration
Si la stratégie de fusion et acquisition (M&A) de Swile met en avant l'objectif d'accroître la part de l'entreprise sur le marché existant en absorbant des entreprises concurrentes ou complémentaires, l'expérience enrichissante de Philippe Miltin, CEO de 3DS Outscale, rappelle que des raisons technologiques peuvent également motiver de telles acquisitions. Il évoque notamment le rachat de Bull par Atos, dirigé par Thierry Breton en 2014, qui visait à récupérer une expertise très pointue sur les supercalculateurs, ainsi qu'en ingénierie informatique axée sur la cybersécurité.
Dans cette situation, comme dans le cas d’usage de Swile ou dans l’acquisition d’Outscale par 3DS - société indépendante devenue marque du groupe Dassault Systèmes-, Philippe Miltin souligne l’attention toute particulière qui doit être portée à l’intégration et au respect du contrat client. “Dans tous les cas, on doit s’assurer que les personnes clés contribuent à la vision build up. On doit par ailleurs s’assurer qu’on comprend bien ce que l’on rachète. Une entité spécifique avait été créée au sein d’Atos pour reprendre l’ensemble des composants de Bull- qui comptait alors près de 30 000 personnes. Par ailleurs, un chef de projet avait été nommé au plus haut niveau pour opérer l’intégration. Ce savoir-faire unique, industriel, en matière d’intégration a même été vendu par la suite. C’est indispensable notamment parce que le mode de fonctionnement matriciel d’un grand groupe n’a rien à voir avec le fonctionnement d’une startup.”
Les deux experts de la première table ronde se sont accordés sur le fait que le plus important demeurait d’avoir une vision long terme en cohérence avec un projet stratégique et concèdent que le processus de deal - un outil pour y parvenir parmi d’autres - est souvent plus simple que la phase d'intégration qui en découle. Ils ont par ailleurs souligné l'importance de définir clairement les objectifs de l'acquisition et insistent sur la nécessité d'établir des plans d'action d'intégration avec des échéances strictes pour garantir le succès de l'opération. “L’intégration doit se faire dès le jour j de l’acquisition. Il ne peut pas y avoir de temps de latence. La rapidité est, indéniablement, un facteur clé de la réussite de l’opération”, explique le CEO de 3DS Outscale.
En accord avec cette approche, Gabriel Moukhbat ajoute une dose de flexibilité à la recette, reconnaissant que le changement est inévitable dans tous les aspects, que ce soit dans l'organisation, la cible, le produit ou la culture. Une communication proactive en amont est d'ailleurs soulignée comme un élément essentiel pour préparer les employés au changement.
Savoir se valoriser en tant que proie
Au cours de la deuxième table ronde, Quentin Besnard, Associé VC chez Tikehau Capital, a incité l'audience à réfléchir aux motivations sous-jacentes du Build up en revenant à la définition fondamentale du terme "écosystème". "Lorsque nous parlons d'écosystème, je suggère de comprendre l'analogie au sens darwinien, où une sélection naturelle opère avec des proies, des prédateurs, et parfois même des extinctions d'espèces. Les entreprises, pour s'adapter, survivre, et combler rapidement leur retard face aux acteurs dominants des États-Unis, ont besoin de procéder à des consolidations. En prenant l'exemple du domaine du cyber et de la tech que je connais bien, l'écosystème des startups européennes est extrêmement fragmenté. Ces entreprises sont souvent fragiles et doivent atteindre une taille critique pour amortir leurs coûts de R&D sur une base clientèle importante, afin de renforcer leur résilience. Actuellement, c'est encore un marché très immature, difficile à décrypter, comparable à une forêt de Bonsaïs, et le client final préférerait souvent avoir un seul fournisseur, à l'instar de Palo Alto, plutôt que d'opter pour les solutions de 25 acteurs différents. Du côté des grands groupes, les processus lourds peuvent parfois entraver la dynamique et l'innovation, freinant la quête de croissance sur de nouveaux marchés, ce qui conduit à l'acquisition de startups."
Dans un contexte de raréfaction des financements, et en réponse au propos de Quentin Besnard, Eugénie Néau Chaltiel a encouragé à repenser la position de proie comme une opportunité. Elle souligne l'importance de rendre l'entreprise attrayante pour attirer des partenaires ou investisseurs. "Il faut savoir se faire beau en tant que proie pour attirer les prédateurs", a-t-elle affirmé avant de rappeler qu’un exit par un rachat qualitatif devait toujours rester une option. “De très belles histoires existent”, a-t-elle conclu.